La Fondation Henri-Cartier Bresson est un lieu qui fait vivre la photographie, un vivier culturel et artistique pensé par et pour des photographes. Henri Cartier-Bresson, sa compagne également photographe Martine Frank et leur fille Mélanie ont entrepris dans les années 2000 de créer un espace prospère de conservation, d’expositions, de rencontres, de dialogues. Une initiative familiale, presque testamentaire, qui promet de faire vivre l’histoire de l’art à travers son écriture contemporaine.
Par le passé, on a pu y découvrir la tentative de reconstitution de l’exposition photographique «Anti-graphic», confidentielle et collective de 1935 regroupant Walker Evans, Manuel Álvarez Bravo et Henri Cartier-Bresson, sous l’égide du galeriste Julien Levy. La programmation de la Fondation HCB a également tenu à présenter des « hommages » aux photographes qui ont constitué une œuvre documentaire sociale : Irving Penn, August Sander, Lewis Hine, etc., par le biais d’expositions s’attardant sur le particulier de parcours photographiques hors norme.
Dans l’ensemble, la Fondation HCB s’évertue à créer des rencontres et des ponts entre les photographes et les époques, en prélevant un leitmotiv commun, des expositions croisées sont de temps à autre présentées sur le ton de la rencontre, réunissant par exemple Henri-cartier Bresson et Paul Strand, Alberto Giacometti, Walker Evans. Prochainement et dans la même verve, la Fondation HCB présentera la « réconciliation » de Martin Parr et Henri Cartier-Bresson, du 8 novembre 2022 au 12 février 2023, à travers un jeu ludique de juxtapositions, afin d’apporter une réflexion commune sur un sujet donné.
Aujourd’hui, l’exposition «l’Expérience du paysage » propose un choix de photographies et de dessins questionnant la construction paysagesque. Henri Cartier-Bresson, qui a lui-même sélectionné les photographies rassemblées, semble nous poser une question posthume. Qu’est-ce qui fait paysage ? Est-ce le sujet regardant, contemplatif, photographique ? L’être humain et ses artefacts transforment à bien des égards la Nature, une nature humaine, voilà la définition que pourrait nous proposer d’esquisser l’artiste protéiforme, le géomètre en action, le poète contemplatif, le penseur, le cinéaste, le dessinateur, le peintre et le photographe Henri Cartier-Bresson. Car c’est bien de la sorte que ses photographies révèlent une composition si juste et complète.
Le paysage
Comment dire la beauté et la laideur du monde ? L’homme semble redoubler de moyens pour transmettre ses impressions sur le monde, l’un de ses moyens, la photographie et plus précisément la photographie numérique a permis d’intégrer l’immédiateté au processus d’expression. L’image est devenue images réseaux, codages, pixels. L’image est modulable, intangible, elle voit double, triple et se propage sur la Toile. Le paysage, lui, parait photogénique, il atteste d’un moment face à la beauté du monde. Moins régulièrement, il témoigne de sa laideur. Encore moins régulièrement, il propose un temps long, propice à la contemplation. Henri Cartier-Bresson, car il se fait témoin, fige et à la fois fait vivre un paysage pensant, poétique, laid, beau, magique, surréaliste. L’utilisation du noir et blanc argentique restitue la couleur locale de chaque lieu qu’il traverse. S’il ne s’agit d’un carnet de voyages, on peut à coup sûr y percevoir une brève d’histoire.
L’exposition débute (selon le sens) par les premiers voyages « photographiques » de l’artiste en 1933, Leica au cou, Espagne et Italie, quiétude et jeunesse avant que tout ne cesse. Puis des sauts dans le temps, Henri Cartier-Bresson qui a été fait prisonnier dans les années 1940, réussissant à s’échapper trois ans plus tard, à vu un paysage de l’intérieur bien sombre, il n’en reste pas moins que la poésie demeure dans ses voyages suivants : Inde, Serbie, Etats-Unis, Arménie, etc., qui nous appelle à recontextualiser le paysage. Si le commissariat de l’exposition s’est tenu à valoriser le travail certain de la composition formelle du photographe, il serait juste de rappeler qu’Henri Cartier-Bresson a longtemps parcouru le paysage de sa vie sur le chemin tortueux d’une dialectique critique.
L’histoire du paysage
Henri Cartier-Bresson, initialement formé au dessin et à la peinture, s’est dirigé vers la photographie en 1931 et, d’après une logique plastique, n’a pas tardé à se tourner vers le cinéma, vers le cinéma collectiviste plus précisément. En 1936, il coréalise avec notamment Jean Renoir : « La vie est à nous ». Un film où le paysage est le témoin central de bouleversements industriels mortifères, instrumentalisés comme force public privatisable. Notons que le contexte de création de « La vie est à nous », qui est une œuvre du Parti communiste (controversée à juste titre), est celui de la montée de la terreur en ismes : taylorisme, nazisme, fascisme, franquisme, communisme. Cela n’enlève pourtant rien à la valeur documentaire que constitue cette œuvre, tant il apparait nécessaire de déconstruire le roman national français au service de l’oppression.
Si on vous conseille donc d’aller jeter un œil à l’exposition « l’Expérience du paysage » visible jusqu’au 25 septembre à la Fondation HCB dans le IIIe arrondissement au 79 rue des Archives, on vous conseille d’autant plus de vous attarder sur l’œuvre globale mais jamais globalisante d’un artiste à la recherche de nos paysages idéals…
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