La saison des festivals de musique est officiellement ouverte, après un long débrayage forcé de presque deux ans, c’est reparti pour LA FÊTE ( la vraie, pas toi tout seul qui t’ambiance dans ta chambre devant un concert en live streaming). Pour célébrer cette chaleur humaine, cette madeleine de Proust d’un pogo transpirant aux reflux de bières, on a jeté notre dévolu sur le VYV Festival à Dijon, pour sa programmation éclectique aux petits oignons d’abord, et parce qu’il est tout nouveau tout beau dans le paysage des festivals francophones.
L’idée : 1 jour/1 reportage ( brillant, non ?) constitué d’entretiens avec les artistes, d’anecdotes sans ordre hiérarchique, de comptes rendus (peut-être au moins un peu subjectif) sur les concerts, de déontologie journalistique, d’amour et de soleil pour un retour à chaud sur la 3e édition de ce festival tout public au parc de la Combe à la Serpent situé aux abords de Dijon , les 11 et 12 juin derniers.
Jour 1
15h30. Le départ de la cité de la gastronomie nous amène à faire un détour quasi obligé pour un goûter sur le pouce aux saveurs bourguignonnes, enfin presque. Un flan anglais et un sandwich à la coppa italienne plus tard, nous voilà à bord de la navette gratuite, le temps de fignoler les questions pour les interviews et de consulter les horaires des concerts. 16h30 : Antibalas, ça tombe bien, on va pouvoir en profiter pour poser quelques questions au groupe et mettre en lumière l’afrobeat : mélange de sonorités traditionnelles d’Afrique de l’Ouest, de highlife, de soul, de funk et de jazz initié par Fela Kuti dans les années 70.
L’arrivée au festival est torride, au sens propre, il fait 31 degrés et aucune brise pour nous chatouiller la nuque, l’attente pour récupérer nos accréditations est brève, surtout qu’elle s’accompagne d’un chien trop, trop mignon qui vient saluer absolument tous les membres de la file, trop mignon vraiment ce chien qui renifle les poches du gars derrière nous, suivi de près par un gendarme qui embarque le type, pour un tout petit bout de shit. Ambiance. En même temps, autant se le dire (déontologie oblige), le public du festival est avant tout familial, des familles dijonnaises mais aussi la grande famille du groupe VYV : union mutualiste à but « non lucratif ». Exit donc l’esprit Woodstock.
17h30. Scène de l’Observatoire, le concert d’Antibalas, qui vient de se terminer, promet un festival pointu est joyeux. Le public est déjà présent, et le groupe constitué de musiciens tous plus doués les uns que les autres a livré une prestation bluffante. On ne vous en dit pas plus et on les retrouvent plus tard pour une interview. En attendant, on est gonflés à bloc pour rejoindre la scène du Mont-Afrique et le concert de Kanoé, jeune prodige du rap de 17 ans révélant une maturité musicale abasourdissante tout en rendant compte de l’hégémonie de la start-up nation qui, quelques secondes après les premiers lyrics de « Bizness », donne le coup d’envoi d’un premier temps fort « sale », bien « trop sale ».
18h30. Ou la diagonale des concerts à ne pas rater : Gaëtan Roussel (chanteur du groupe Louise Attaque), Sopico et Benjamin Epps. On a quand même dû faire un choix, qui s’est porté sur l’envie de mettre en lumière un artiste prometteur. C’est le gros coup de coeur de ce festival, on veut parler de Benjamin Epps, qui s’est fait connaître il y a un peu plus d’un an avec son titre « Kennedy en 2005 », créant une musicalité spatio-temporelle entre rap cainri des années 90 et flow conscient trop loin pour les clichés, une innovation rétro-futuriste qu’il puise dans ses influences : Biggie, Easy-E, DMX… rendant un bel hommage au hip-hop d’une voix bienveillante et atypique.
20 heures. On se prépare pour l’interview d’Antibalas, qu’on décide de croiser avec l’autre entretien de la soirée : James BKS, qui surprend par son parcours hors norme, son intelligence, sa simplicité et surtout par sa musique, « the new world music », mélange de sonorités traditionnelles d’Afrique centrale, de hip-hop et d’électro. Si Antibalas et James BKS sont réunis par leur envie motrice de faire se rencontrer les genres musicaux afin de garantir de nouveaux horizons à l’afrobeat, il s’agit de similitudes qui épousent deux parcours aux antipodes. La singularité de James BKS : véritable mélomane qui a débuté comme beatmaker pour des artistes anglophones : Ja Rule, Snoop Dogg, etc., et francophones : Booba, Yousoupha, Lino et Les Sages Poètes de la rue. Il a par la suite mis son talent au service de la musique à l’image, un parcours prolifique ponctué d’une période charnière : l’envie de constituer son ADN musical. En même temps, la rencontre avecManu Dibango, son père biologique, donne naissance à un projet à la fois personnel et collectif, fort d’une musicalité profondément novatrice, créant un pont à travers les époques et les cultures. La première partie de son premier album, « Wolves of Africa », sort le 8 juillet et c’est le premier bébé du label d’Idris Elba 7Wallace. De l’autre côté, Antibalas, le groupe originaire de Brooklyn, qui a sorti en 2020 son 7 e album « Fu Chronicles », propose une musique intelligente, performante, assumant le choix du format de morceaux longs. On a mené leur entretiens respectifs sur des questions communes afin de proposer une interview croisée, adoptant le leitmotiv de l’afrobeat : la symbiose.
Interview
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre parcours ?
Antibalas. Notre parcours est assez atypique, les membres qui constituent ce band dévouent toute leur carrière à le faire exister, et on est tous soudés par l’envie de le voir grandir et rayonner à travers le monde. Entre 1998 (date de fondation du groupe) et aujourd’hui, chacun des musiciens qui a rejoint l’aventure a contribué a élevé Antibalas au rang de véritable institution.
James BKS. Mon parcours est scindé en deux parties. J’ai en effet commencé par la beatmaking et il y a eu un moment ou j’ai eu l’impression de tourner en rond, de proposer une musique qui n’était pas la mienne, par extension, c’était moi qui la faisait, mais elle correspondait surtout à ce que l’industrie souhaitait qu’elle soit. J’avais l’impression de calquer un tel ou un tel et je ne m’y retrouvais plus vraiment, surtout que j’ai grandi à une époque ou des producteurs comme Pharrell Wiliams, Swizz Beatz, Timbaland, etc., réussissaient à faire une proposition singulière : ils s’imposaient dans le paysage musical tout en ayant chacun leur style propre. Donc, même si j’ai eu la chance de m’imposer dans la musique et de vivre de ça, je me retrouvais un peu coincé… Du coup, j’ai décidé de rentrer en France et je suis reparti de zéro afin de m’éduquer sur l’industrie du disque et contrôler ma carrière, mes droits d’auteur. De là est née l’envie de m’imposer musicalement mais différemment. Donc, j’ai commencé par tenter de produire des artistes, mais je suis retombé dans le cercle vicieux du formatage industriel. Je ne m’y retrouvais toujours pas. C’est à ce moment là qu’avec ma compagne, avec qui j’ai fondé ma boîte de production, on s’est dit que la musique à l’image, qui permettait de financer nos projets, pourrait servir à financer mon projet personnel. A partir de là, j’ai développé ma patte musicale, et comme par hasard, c’est aussi à cette époque-là que j’ai renoué avec mon père biologique (Manu Dibango). J’avais une méconnaissance de mes origines camerounaises car ma mère qui avait quitté le Cameroun dans des conditions un peu difficiles ne mettait pas forcément ça en avant, et la manière dont les médias montre l’Afrique en règle générale, sous un spectre peu flatteur, m’ont construit des modèles surtout américains. En renouant avec mon père biologique, ça m’a permis de voir le Cameroun à travers d’autres perspectives. Sans me brosser dans le sens du poil, il m’a tout simplement dit : « Le Cameroun a ses réalités, mais il n’y a pas que des choses négatives. » Donc, en m’ouvrant sa porte, en ayant l’opportunité de partir avec lui en tournée, j’ai eu la chance de découvrir sa musique par le biais de sa narration et de découvrir la culture camerounaise que je ne connaissais pas. Donc, on peut dire que c’est comme ça que les choses ont naturellement fusionné dans ma musique ; elle est le fruit de mon parcours.
Au regard de l’afrobeat et de manière plus générale, dans quelle mesure héritage, art et histoire sont-ils liés ?
James BKS. Ce qui ce passe actuellement avec l’afrobeat est formidable. Et j’ai l’impression que c’est un cycle, si on retourne dans les années 60-70, là ou les Noirs américains avaient besoin de se rapprocher d’une culture qu’ils ne connaissaient pas avec l’émergence d’artistes comme Manu Dibango, Fela Kuti, Angélique Kidjo, même si cette scène d’artistes africains ne pouvait que partiellement contrôler leurs carrières. Alors qu’aujourd’hui, des artistes comme Burna Boy, Mister Easy ont conscience de leur talent et de l’impact qu’ils ont à l’international et n’ont plus à rougir de ce qui se fait ailleurs. Et donc forcément, ça ouvre la porte à des artistes comme moi qui arrive avec l’idée que l’afrobeat nous permet de nous exprimer. Mais je veux montrer qu’il n’y a pas que l’afrobeat car l’Afrique est immense. Rien qu’au Cameroun il y a des rythmiques, des types de percussions, des dialectes qui sont tellement riches et magnifiques que si je dois faire ma proposition musicale, c’est pas pour faire comme tous le monde mais pour proposer de nouvelles perspectives à la musique afro.
Quel rapport entretenez-vous avec la scène ?
Antibalas. Honnêtement, c’est juste incroyablement électrique de retrouver le public. Après tellement de temps sans pouvoir se produire sur scène à cause des mauvais évènements (la crise sanitaire), le public est incroyablement réceptif et touché par notre musique. On ne peut pas rêver mieux que cette communion avec les gens.
James BKS. Ma toute première scène était fin 2019 et c’était fou, je pensais pas vivre ça un jour. Quand j’ai commencé sur mon projet , je me voyais plus en DJ Khaled collaborant avec tous le monde en ramenant son univers, mais je n’imaginais pas que ma musique pourrait prendre vie de cette façon. C’est en partie grâce à ma compagne, qui m’a énormément poussé à me réaliser. Depuis, j’adore la scène, je prend de plus en plus de plaisir de date en date, je suis entouré de musiciens de talent, et je comprends ce qu’a pu vivre mon père à l’époque, je comprends à quel point il est resté jeune tout sa vie. Tourner, aller de festival en festival, rencontrer des gens, voyager et faire vivre sa musique devant un public, c’est une chance incroyable. Je suis très chanceux.
Un mot sur vos futurs projets ?
Antibalas. Depuis l’année dernière, on passe pas mal de temps à développer un nouveau projet, donc, c’est très intense et il en ressort de nouveaux titres qui ouvrent un nouveau chapitre. Globalement, on vit un vrai rêve, on a été nommés pour les Grammy Awards dernièrement. Donc, c’est toujours un honneur d’être reconnus.
James BKS. Je compose la musique d’une série qui va sortir prochainement, mais je ne peux pas en dire plus !
De notre côté, on vous invite à écouter les magnifiques projets de ces artistes incontournables qu’on suit de près et à aller les voir sur scène : James BKS se produira le 23 novembre à l’ Elysée-Montmartre, et fait le tour des festivals cet été. Le VYV Festival était la dernière date européenne du groupe Antibalas, mais pour découvrir leur futur dates, c’est ici.
21h30. On est presque déçus d’avoir raté le concert de MARA, surtout que l’un des festivalier nous dit dans l’oreillette que « c’était le meilleur concert de la journée, voire du siècle ». La note d’humour est douce pour cette DJ/ chanteuse aux paroles crues, surfant sur un malaise à peine croyable, une sorte « d’Alkapote invité chez Midi les Zouzous ». Pour l’heure, en tout cas, on est pile dans les temps pour la prestation d’Eddy de Pretto, qui interprète « Créteil Soleil », « Fête de trop » et dédicace son 2e album « À tous les bâtards » à tous les… homophobes (cheh), avant d’être interrompu par une coupure de courant de presque vingt minutes qui, selon l’artiste, a semé « le chaos ». Est-ce que le live d’Eddy de Pretto est sorti grandi de cet incident, tel l’éclaircie après la tempête ? Mouais.
23 heures. Le concert qu’on attendait (personnellement) le plus, M.I.A est back dans les bacs « With Powa Powa » avec son titre «The One », issu d’un prochain album qu’il nous tarde de découvrir. L’artiste protéiforme — plasticienne, réalisatrice, styliste, autrice-compositeur-interprète —, et de ceux qui colle le plus avec la devise « solidaire » prôné par le VYV Festival. Son parcours, véritable combat contre une société mercantile, place ses choix en dehors d’une logique de profit, sa plume servant à se jouer des clichés de l’étranger qui vole le pain et le travail de l’honnête citoyen dans « Paper Planes », à donner une voix aux « expatriés » qui traversent la mer Méditerranée dans « Borders », à dénoncer la société de contrôle dans « CTRL », et surtout à explorer la continuité du rôle de son père, activiste à l’origine du mouvement révolutionnaire tamoul. On la connaît aussi pour ses prises de position sincère : d’un doigt d’honneur au Super Bowl à une joute contre une société politico-médiatique qui ne veut pas entendre parler du crime contre l’humanité effectif au Sri Lanka. Sur scène, c’est son univers visuel que l’on découvre ainsi que sa musique chimique : hip-hop/électro/musique du monde. Le monde, elle l’aime, elle lui pardonne et fait monter les femmes sur scène pendant qu’elle va chanter « Bad Girls » au milieu du public. Une petite révolution, mais une révolution quand même pour cette artiste qui redéfinit la définition même de ce qu’est être une pop star.
1 heure. On est déjà à J + 1, et un chouia sur les rotules, alors que Laylow est (littéralement) prêt à enflammer la scène de la Combe. Un show qui clôture un premier jour de festival avec de belles découvertes, des temps forts animés par un public très chaud et une ambiance globale avec un goût de « revenez-y ».
Ça tombe bien, on se retrouve demain pour la deuxième partie de notre reportage au VYV Festival.
En attendant, on vous a concocté la playlist des coups de coeur de ce Jour 1 !